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Gaëlle Hyernaux : Tenaillée par la vie - Entretien Isabelle Françaix

Le 27 novembre 2010, lors du Festival Loop 3 organisé par le Forum des Compositeurs à l'Espace Senghor, l'ensemble Musiques Nouvelles créait In Red, de Gaëlle Hyernaux, titulaire du Prix André Souris en 2008. Un peu réticente à parler de son travail de jeune compositrice, elle s'est pourtant prêtée au jeu des questions avec ce mélange touchant de flamme et de flegme qui colore ses propos. Garder les mots en laisse pour ne trahir ni ses propres recherches ni la musique vers laquelle elle tend. La tête sur les épaules et le cœur en alerte…

Gaëlle Hyernaux, vous avez expliqué que vous étiez arrivée à la composition par hasard en 2003 à partir d'un travail collectif entrepris à l'IMEP pour le festival Take a Note (Antigone de Henri Bauchau): qu'est-ce qui vous a incitée à composer ensuite?

J'aimais ça et je me suis prise au jeu, assaillie de nouvelles idées que j'avais envie de mettre à jour. C'était inattendu car jusque-là, je n'avais jamais vraiment envisagé la composition. Sans doute pensais-je trop au compositeur isolé dans sa tour d'ivoire… Or composer n'exclut pas d'être musicien, de prendre plaisir à jouer avec les autres et d'en recueillir des idées nouvelles, foisonnantes qui donnent encore plus envie d'écrire. C'est un jeu.

Quelle a été votre première œuvre après le Festival Take a Note?

Une petite pièce pour guitare, un peu étrange. Je suis guitariste et écrire pour la guitare, c'est ce qu'il y a de plus difficile pour moi. Pour court-circuiter mes réflexes de jeu qui vont à l'encontre de ce que j'ai envie d'écrire, j'ai totalement modifié mon instrument. J'ai remplacé toutes les cordes par 3 cordes de mi et 3 de sol, accordées de manière à avoir une échelle en sixième de ton, ce qui troublait mes repères auditifs. Et je me suis amusée!

Toutefois, je crois qu'un jour je reviendrais à la guitare sans la modifier, quand j'arriverais à aligner le jeu instrumental et la composition.

Pour quels instruments aimez-vous composer?

J'adore la voix. Que fait-on avec un texteet comment aborde-t-on sa signification? Ces problèmes m'intéressent aussi. La superposition du langage de la parole et du langage musical est un défi qui me plaît. C'est le cas d'In Red, où il y a une voix, une clarinette basse et deux percussions. C'est une première version courte d'un projet un peu fou et bien plus vaste qui est né d'une discussion avec un ami peintre qui me racontait un cauchemar. Il rêvait qu'il était emprisonné dans une carcasse de taureau. Le seul moyen d'en sortir était de marteler de ses poings les parois de chair. Il a ressenti le besoin de peindre cette angoisse tandis que des sons me sont venus directement dans les oreilles. La chair vivante emprisonnée et la chair morte peut-être de cette carcasse animale… je les entendais! J'avais une image sonore que je voulais transcrire. L'instrumentarium d'In Red représente la personne enfermée dans ce corps de taureau. J'ai écrit un petit texte destiné à la chanteuse, dont je voulais des sonorités précises et musicales. Je ne suis pas écrivain. Les paroles ont plus une vocation sonore que poétique, même si elles racontent une histoire et invitent aussi au rêve, à l'évasion.

Ce qui motive l'écriture d'une œuvre, est-ce toujours pour vous une sensation?

Entre autres… A partir du moment où ce qui suscite l'écriture peut tenir le coup assez longtemps pour que je la triture. Par exemple, j'ai un jour écrit une pièce à partir d'un délire scientifique sur la quatrième dimension: j'avais envie d'y transposer une forme géométrique, ce qui est éminemment mathématique (alors que les maths sont loin d'être mon domaine!) Sinon, cela peut partir directement du son, comme ma petite pièce pour guitare…

Cependant, dans le processus d'écriture, les choses s'alignent beaucoup plus vite dès que j'ai un titre ou un projet clair.

Cela veut-il dire que la musique a un sens pour vous?

En tant que direction, oui. Pour ce qui est de la signification… je ne sais pas.

Il y a des éléments dans la musique qui sont en eux-mêmes moteurs. On peut donc se mettre soi-même en retrait et écouter ce qui porte la musique. Un chemin se dessine et sans doute un mécanisme psychologique ou subjectif entre-t-il en compte… Mais la musique porte en elle différentes directions, en dehors de notre volonté, ne serait-ce qu'une direction culturelle.

La musique correspond-elle à une quête, un cheminement personnel?

C'est la confrontation d'un élément sonore et d'un élément humain qui, à un moment donné de notre vie, se ressent d'une manière ou d'une autre, différemment selon notre parcours et notre évolution personnelle. Je n'écrirais pas une pièce de la même façon aujourd'hui qu'hier.

Comment êtes-vous venue à la musique?

Mon père avait reçu une guitare pour son anniversaire; c'était un objet précieux que je n'osais pas trop toucher. Il écoutait souvent un disque de flamenco que j'adorais! J'avais 5 ans. A 8 ans, j'ai commencé la guitare à l'académie.

Aujourd'hui, je joue au sein de collectifs dont les projets me tiennent à cœur (l'un se base sur l'Odyssée; un autre revisite les années 20…) et je donne des cours. J'aime cet artisanat de la musique et je veux garder ce contact avec les possibilités d'un instrument pour rester à son service. C'est rassurant et ça fait partie de ma vie, de mon quotidien. C'est un rapport simple et direct avec la musique, de pratique et de transmission. J'aime donner cours…

Qu'est-ce qui vous a conduite à l'enseignement [Gaëlle Hyernaux est professeur de guitare au conservatoire de Verviers et à l'Académie de Grez-Doiceau]?

Le hasard encore une fois! J'ai eu la chance de rencontrer des professeurs fabuleux qui m'ont montré combien la pédagogie pouvait être enrichissante pour l'enseignant et l'élève. En sortant des humanités, j'ai rencontré Marie-Nieves Mohino à l'IMEP et son père Jesus Gonzales-Mohino qui était professeur au Conservatoire de Liège. J'ai travaillé avec eux en stage; ce qui a été déterminant! A la rentrée, j'ai continué les cours avec Marie Mohino à Jambes et grâce à elle, j'ai eu l'impression de découvrir la musique!

Certains compositeurs sont-ils pour vous des références?

Bien sûr, même si je dois encore y travailler. Je n'écoute pas assez de musique, je pense… Bach est monumentalet intemporel ! Même si on ne fait pas de musique baroque, la matière sonore de ses œuvres vit toujours maintenant, moderne et stimulante. Au-delà de la musique, ce sont les personnes qui ont un projet de vie qui m'ouvrent l'esprit, qu'elles soient en face de moi ou dans des livres, des œuvres. Rimbaud, Kerouac, Gainsbourg, Ferré… Ils sont intenses et sans concession. Björk m'impressionne énormément par sa créativité qui n'est jamais gratuite! Elle est tenaillée par la vie!

J'hésite souvent à parler de ma musique parce que je ne pense pas encore pouvoir mettre des mots sur ce qui advient. La sincérité n'est pas facile en musique non plus: il ne serait pas impossible d'avoir compris certaines ficelles et de faire des choses qui tiennent la route sans être pleinement investies. Bien sûr, une partie du travail consiste à maîtriser certaines techniques, mais il faut faire attention de ne pas se faire prendre à son propre jeu. Tenter d'être simple, direct…

Avez-vous des projets?

Beaucoup! Notamment pour In Red, j'aimerais avoir «ma carcasse de taureau» dans la salle: entourer les musiciens d'un octuor de trombones qui la représenterait avec l'aide d'un dispositif électronique. L'auditeur serait entre les trombones et l'ensemble. Petit à petit il y aurait des contacts de matières sonores. Pour le moment, je n'ai que l'élément pugnace emprisonné dans la carcasse; je voudrais obtenir une dialectique et une évolution en introduisant la carcasse par le sonore.

Quel est votre rêve?

C'est un projet de vie. Je voudrais avoir cette attention et cette conscience qui aiguisent notre rapport au monde, à la vie.
 
Propos recueillis par Isabelle Françaix, le 27 novembre 2010 à Bruxelles

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Photos : Isabelle Françaix. Télécharger les photos.