Imprimer Chercher

Exil de Giya Kancheli - Eglise des Minimes

En images ICI

Un et Infini,

Anéantis,

Je-isaient.

Lumière fut. Salut.

Paul Celan, Einmal

Voilà. Il n'y a plus rien à dire.

Hans Sahl, Exil
 
MUSIQUES NOUVELLES
 

Elise Gäbele (soprano), Berten D'Hollander (flûte),

Cristina Constantinescu (violon), Philippe Allard (alto),

Jean-Pol Zanutel (violoncelle), Aykut Dursen (contrebasse)

& Vincent Bruyninckx (synthétiseur)

Sous la direction de Jean-Paul Dessy
 

Exil… une pulsation lente, calme et douce pour cinq mouvements: le Psaume 23, puis Einmal, Zähle die Mandelin et Psaume du poète d'origine roumaine et de langue allemande Paul Celan (1920-1970) qui prit la nationalité française en 1959, enfin Exil de l'Allemand Hans Sahl (1902-1993), expatrié aux Etats-Unis.

Au-delà du «je» qui souffre d'être privé de ses racines, une même quête d'identité unifie ces voix multiples et singulières nées de l'exil dans un silence que Giya Kancheli qualifie d'«habité».
 

En 1994, le compositeur géorgien Giya Kancheli dédie le cycle Exil à Manfred Eicher, fondateur du label ECM. À cette époque, il habite encore Berlin qu'il quittera en 1995 pour s'installer en Belgique, à Anvers.

Giya Kancheli a quitté la Géorgie en 1991 ; lors de l'été 1990, le soviet suprême géorgien ayant entériné le droit de séparation de l'URSS, la violence et la division agitent les premières élections libres. Tbilissi supprime l'autonomie de l'Ossétie où est déclaré l'état d'urgence. En mars 1991, les Géorgiens qui se sont massivement abstenus lors du référendum soviétique sur le maintien de l'Union prononcent un oui général à leur propre référendum sur l'indépendance. Le président Gamsakhourdia s'érige en dictateur, limoge ses ministres à tour de bras, fait tirer sur une manifestation de l'opposition démocratique, interdit la plupart des journaux… Les conflits interethniques se généralisent, la guerre civile s'intensifie, la production est en chute libre, l'inflation exorbitante… Dans chaque région de l'ex-union soviétique, la dislocation pousse de nombreux compositeurs comme Kancheli à quitter leur patrie : parmi eux Schnittke, Gubaidulina, Pärt, Chédrine ou encore Kissine. L'attitude antérieure des autorités soviétiques a trop longtemps retardé l'édition et l'exécution des œuvres nouvelles, encourageant la quête d'éditeurs et d'organisateurs de concerts à l'Ouest de l'Europe.
 

En 1992, Giya Kancheli écrit Abii ne viderem, littéralement « Je me détournai pour ne pas voir », claire énonciation musicale du tourment d'un exilé « volontaire » que l'attachement douloureux à la patrie investit d'une beauté poignante et élégiaque. Loin d'ignorer la souffrance, Kancheli se détourne pour l'emporter dans l'exil, en transfigure la puissance et l'élève, cherchant par la musique, et selon ses propres mots, « à combler un espace délaissé par les hommes ».

Déraciné, Giya Kancheli trouve dans la mystérieuse rencontre du silence et des sons un espace liturgique où l'angoisse et l'espoir mêlés invoquent la lumière au cœur d'un paysage aride, sombre et déchiqueté. Sa musique oscille entre deux états extrêmes : une quête envoûtante lacérée de brusques éclats de colère qui, évoquant une profonde détresse, préservent de la torpeur. L'art et la beauté peuvent-ils sauver le monde ? Le musicologue Frans C. Lemaire, dans son ouvrage La musique du XXe siècle en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques (Fayard, 1994, pp414-415), trace quelques repères dans l'univers du compositeur géorgien :
 
«La beauté comme morale, le silence comme témoin du sacré, la musique comme liturgie
 
Giya Kancheli lui-même définit sa musique comme « une page blanche avec une faible trace de larme séchée ».
 
Cependant, si son œuvre révèle un profond mysticisme, elle se dégage de toute religiosité orthodoxe. Incantatoire, elle explore avec expressivité la dimension métaphysique de l'être humain, entre ascèse et illumination.

Rien n'est lié à l'émigration dans ma musique ! Je n'ai jamais émigré de Géorgie. Je suis toujours un citoyen géorgien. Quand j'ai quitté la Géorgie, il était déjà possible d'en partir et d'y revenir. Ce qui n'était pas le cas avant 1991 : vous ne le pouviez pas et vous saviez qu'en franchissant la frontière vous vous condamniez à l'exil. Je partage donc simplement ma vie entre la Belgique et la Géorgie. Je ne me suis jamais senti un immigrant. […] Ma musique n'est pas une plaidoirie contre l'ignorance et la bêtise qui répètent les mêmes erreurs à travers l'histoire. C'est pourquoi j'essaie de contrer cette obstination imbécile, non par la turbulence d'un courant contraire, mais par le silence qu'évoque la surface d'une eau tranquille. J'essaie de prévenir les émotions négatives, nées de la terreur et des conflits sans fin, par la sérénité et la patience. Je tente, avec des sons nés aux frontières du silence, de nous préserver de l'environnement de plus en plus bruyant dans lequel nous vivons. De contrer les avances technologiques de plus en plus complexes par un langage musical le plus clair et le plus simple possible. De calmer le rythme trépidant de notre quotidien par des tempi exagérément lents. D'opposer au fanatisme religieux, aux manifestations extatiques de patriotisme, de glorification et de fétichisation du passé, des contrastes intensément dynamiques. Car après tout, hormis en griffonnant des notes sur un morceau de papier, je n'ai aucun autre moyen de protestation. Cependant, dans ma tâche quotidienne de création musicale, mes pensées et mes émotions, plus que de refléter tout cela, se concentrent sur un vaste espace invisible qui, dans mon imagination, détient la clef des concepts intemporels de beauté, de douceur et d'amour. Je rêve seulement que ceux qui écoutent ma musique n'en perçoivent pas les défis et s'y sentent libres. Je serais heureux que, dans le futur, mes œuvres (à moins qu'elles ne sombrent dans l'oubli) soient perçues comme une tentative de sortir des ténèbres vers la lumière.
Extrait d'un Entretien avec Giya Kancheli Revue#4 Musiques Nouvelles

Coproduction

Le manège.mons/Musiques Nouvelles - Bozar

Représentations passées

25/03/2011
Eglise des Minimes - 1000 Bruxelles

Photos : Isabelle Françaix. Télécharger les photos.