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Liturgie du Son pour Violoncelle Seul - Récital Jean-Paul Dessy

Dans le cadre du Festival Octobre Musical de Carthage
Sophonie (2005)*
 
Baruch (1998)*
 
Jean-Sébastien Bach: «Sarabande» de la Cinquième suite ((BWV 1011 – 1724)
 
Exodus (2007)*
 
Jean-Sébastien Bach: «Prelude» de la Deuxième suite (BWV 1008 – 1722)
 
Amos (2006)*
 

* Pièces pour violoncelle seul de Jean-Paul Dessy

Liturgie du Son pour Violoncelle Seul

Le violoncelle offre depuis plus de trois siècles sa voix intime et pénétrante, c'est une voie d'approfondissement de nous-mêmes.
 
Depuis Jean-Sebastien Bach -dont la très contemplative "Sarabande" de la 5è Suite est au programme- il est le réceptacle privilégié d'œuvres méditatives ou incantatoires.
 
Outre cette "Sarabande", les œuvres de ce concert s'inscrivent dans cette filiation sacrée selon laquelle la musique est le signe audible de ce qui ne l'est pas.
 
Ces œuvres, composées par Jean-Paul Dessy ont pour titre Amos, Baruch, Sophonie ou Exodus et trouvent leur inspiration, leur respiration, dans d'anciennes prophéties.
 

"Concerter" en latin d'église signifiait «projeter quelque chose en commun».

Ce concert a pour projet essentiel de nous mettre nous-mêmes en commun, de communier, sans gestes ni paroles, d'établir en nous, par l'écoute la plus fine, la plus harmonieuse et la plus silencieuse des concertations.

Jean-Paul Dessy

Compositeur, chef d'orchestre et violoncelliste, Jean-Paul Dessy est également titulaire d'une maîtrise en Philosophie et lettres.

Il a enregistré plus de trente Cds de musique classique contemporaine.

Il est directeur de l'ensemble Musiques Nouvelles.

Il inscrit sa recherche musicale dans le champs du sacré:

le concert comme liturgie,

la pratique instrumentale comme voie de méditation ,

la composition comme lieu de prophétie,

le son comme révélation.

Entretien avec Jean-Paul Dessy (extrait)

Jean-Paul Dessy, quel est le rapport entre la musique et la vie, entre le son et l'être?
Le violoncelle offre depuis plus de trois siècles sa voix intime et pénétrantecomme un chemin d'approfondissement de nous-mêmes. Depuis Jean-Sébastien Bach (dont la très contemplative «Sarabande» est au programme), il est le réceptacle d'œuvres méditatives ou incantatoires. Les pièces pour violoncelle seul de Jean-Paul Dessy s'inscrivent dans cette filiation sacrée selon laquelle «la musique est le signe audible de l'inaudible», et trouvent leur inspiration dans d'anciennes prophéties.
 
Mineurs par la place qu'ils occupent dans les Ecritures, les prophètes Baruch, Sophonie et Amos divulguent des paroles très fortes par delà les siècles et les convictions. Il y a 2500 ans, ils n'acceptaient pas l'ordre du monde, rebelles à l'immense injustice dont ils étaient les témoins. Et pourtant, à l'issue de leurs vitupérations, leurs phrases sont celles de l'apaisement. Ce sont celles que j'ai mises en exergue dans la partition d'Amos: «Je rebâtirai les ruines, je comblerai les brèches.» Il s'agit de trouver à combler nos brèches intérieures, nos blessures, nos manques. Cette sagesse n'appartient à aucune religion en particulier: tout un chacun porte en lui cette aptitude à reconstruire malgré la folie des hommes et l'usure du temps. Ces paroles sont souvent bannies des discours intellectuel et médiatique truffés d'imposture et de mensonges. Elles sont directes, fortes, sans être enrobées d'un jargon qui les amoindrisse. Elles se posent comme des monolithes. C'est en cela qu'elles restent d'actualité. […]
 

C'est Henri Lambert, alors aumônier des artistes à la Cathédrale des Saints Michel et Gudule de Bruxelles, qui m'a suggéré d'écrire Baruch pour une messe artistique comme il aimait à en donner. Une phrase m'avait retenu: «J'aplanirai les montagnes.» Je me suis rendu compte que cette inspiration me convenait; sans cette commande je n'aurais peut-être pas eu l'audace ni la liberté d'aller vers cette musique. Ensuite, je me suis laissé la possibilité de continuer. […]
 

J'ai choisi Sophonie moins pour son texte que pour son nom, en feuilletant l'Ancien Testament. Etymologiquement, on y retrouve sophia, la sagesse et onyx, pierre métaphoriquement assimilée à la lumière: Sophonie évoque donc la sagesse de la lumière. Et pour un musicien, que perçoit-on entre ces deux termes, sophia et onyx? Phonos bien sûr! Même si c'est un jeu de mots, une vue de l'esprit et non une réalité étymologique, on y découvre avec jubilation un triangle: lumière et sagesse dont le son est l'émanation!
 

Amos est un prophète ulcéré par le monde, dont l'injonction «Tu combleras les brèches» nous rappelle à la responsabilité de notre humanité. Cette pièce est également née de son anagramme soma, le corps chez les Grecs, la tradition athénienne de la plénitude physique et de la beauté formelle. Que l'ascèse éthique ne soit pas incompatible avec la jouissance esthétique. Orphée, le héros apollinien de la musique, équilibre, mesure et harmonie, joue une sonate en duo avec Marsyas qui incarne dans la mythologie le débordement des sens, la jouissance. Marsyas et Orphée, c'est la musique: l'excès et le retrait, la contemplation et la danse. Amos/Soma est à la fois chemin d'ascèse et de jouissance, silence intérieur et jubilation sonore. Soma désigne aussi, dans la tradition védique de l'Inde ancienne, la boisson des Dieux. […]
 

Exodus a été écrite pour l'opéra St Kilda. C'est la synthèse de deux solos de violoncelle se situant à deux moments clefs de cet opéra qui évoque l'exode d'une petite communauté d'humains forcés de quitter leur île au grand large des Hébrides extérieures, paradis qui, peu à peu, leur est devenu un enfer. En partant, ils ont laissé dans la petite chapelle du village une Bible en gaélique ouverte à la page du début du Livre de l'Exode parsemée de quelques grains d'épeautre. «Exodus» est un mot lourd; il porte un lien à des tribulations extrêmement dramatiques de l'histoire de l'homme… Mais il s'agit aussi pour moi de l'évocation d'un exode intérieur: nous sommes compulsivement en quête du Paradis perdu ou de l'Eldorado à venir, ce qui revient au même. Projeté dans un avenir fantasmé ou un passé idéalisé, on est écartelé à ne pas vivre le présent, perdu dans une nostalgie incurable ou un messianisme délirant. L'exode, magnifié et sublimé, c'est quitter l'illusion de l'Eden et celle d'un hypothétique Eldorado. Exodus est une musique qui porte une certaine douleur d'être mais s'accomplit dans l'allègement: la déshérence devient adhésion. C'est une transmutation.
 

Extraits de l'entretien avec Jean-Paul Dessy: «Colporteur du Silence»

notice du cd Prophètes qui vient de paraître chez Le Chant duMonde /Harmonia Mundi.

Textes de Jean-Paul Dessy

L'Être et le Son

Invocation, incantation,méditation, le Son intercède auprès de nous afin que nous nous portions à l'écoute de nous-mêmes (écouter et ausculter sont de même étymologie).

Afin que cette écoute fasse de nous, pénétrant le son et pénétrés par lui, des auditionnaires, des voyants du Son.

Afin que nous soyons, éloignés du vacarme, attendus par le silence.

Toutes les pratiques spirituelles ont partie liée à cette écoute.

Être à l'Ecoute , c'est écouter l'Être.

Etre Son.

Aller au Son de soi.

Là où le Son,

si vous l'écoutez vraiment,

vous écoute.

Sacrement du Son

La Musique oscille entre Apollon et Dionysos, entre la voie de l'ange et le cri du diable, entre l'ascèse et la jouissance. Notre monde occidental s'interroge depuis longtemps sur ces postures paradoxales de la Musique. La philosophie depuis Platon, la religion depuis Saint-Augustin.

Mais peut-être la question essentielle ne concerne-t-elle pas la Musique en tant que telle mais plutôt l'écoute de celle-ci. L'écoute, quand elle advient dans sa plénitude grâce à la musique, offre un accès privilégié au silence intérieur. L'écoute rend alors perméables les limites de notre être. Etre à l'écoute, c'est écouter l'Etre.

Quand l'écoute dépasse l'entendement, quand le Son élude le Sens, la Musique est une mystique. Si on l'écoute au plus profond de soi et d'elle, la Musique nous écoute. A bon entendeur est le salut.

La musique alors ne veut rien dire mais le dit bien. Elle dit quelque chose de soi et du monde qui ne se dit pas, qui ni ne se voit pas, mais que tous nous pouvons entendre: au cœur du Son se révèle, à la fois incorporé et immatériel, l'Instant d'éternité.

A Portée du Son

Le bruit nous divise, la Musique nous divinise.

Elle parle une langue à la fois enfouie et à venir.

Elle est la vie même de la vie et cherche des sons pour se dire.

Elle est un gisement: la trouver c'est la recevoir.

Elle rend au corps la part de l'esprit.

Elle est incorporée et dans le même temps désincarnée.

Elle observe le son comme on observe des lois, comme on observe le ciel, comme on observe le silence.

Elle n'isole ni la transe , ni la danse de la transcendance.

Assonance de notre être et du monde, elle permet le battement de l'un par l'autre afin que celui qui l'écoute s'écoute

Du Silence

Le Silence n'est pas tant l'absence de son que la présence à soi .

L'observation du Silence fait décanter en nous le bruit du monde.

La rumeur des voix qui discordaient en nous s'apaise.

Le soliloque incessant de l'ego s'amuït.

Le Silence fait place nette.

Nous découvrons, dans la plénitude de l'écoute, que nous sommes attendus par le Silence.

Liens

Extraits de l'album Prophètes de Jean-Paul Dessy, Chant du Monde

Production

Festival Octobre musical de Carthage

Représentations passées

15/10/2010
Acropolium de Carthage - 2016 Carthage

Photos : Isabelle Françaix. Télécharger les photos.