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Prophètes - Jean-Paul Dessy - violoncelle

Dans le cadre de Musiques au coeur des Musées du Service des Pratiques Artistiques Culture et Lien Social du Conseil Général de l'Isère et du Festival 38e Rugissants.

Compositeur, chef d'orchestre, directeur artistique de l'ensemble Musiques Nouvelles, Jean-Paul Dessy est fondamentalement violoncelliste. Cette polyvalence unifie intimement ce qu'il nomme son «agir de musicien » en un voyage intime, quête d'une écoute commune et partagée. Qu'il interprète sa propre musique, celle de Giacinto Scelsi ou de Jean-Sébastien Bach, qu'il improvise des duos avec le sarangîste Dhruba Ghosh ou DJ Olive, son jeu s'investit d'une présence qui fait sens aujourd'hui et maintenant, se réclamant d'une «musique intemporaine» plus que contemporaine. Tendue vers «l'intimité du moi, son irréductible visage », elle est «assonance de notre être et du monde».
 
Jean-Paul Dessy se définit comme passeur dans une perspective sociétale mais surtout ontologique. Quel est le rapport entre la musique et la vie, entre le son et l'être?
 
Le violoncelle offre depuis plus de trois siècles sa voix intime et pénétrante comme un chemin d'approfondissement de nous-mêmes. Depuis Jean-Sébastien Bach, il est le réceptacle d'œuvres méditatives ou incantatoires. Les pièces pour violoncelle seul de Jean-Paul Dessy s'inscrivent dans cette filiation sacrée selon laquelle «la musique est le signe audible de l'inaudible», et trouvent leur inspiration dans d'anciennes prophéties.
 

Mineurs par la place qu'ils occupent dans les Ecritures, les prophètes Baruch, Sophonie et Amos divulguent des paroles très fortes par delà les siècles et les convictions. Il y a 2500 ans, ils n'acceptaient pas l'ordre du monde, rebelles à l'immense injustice dont ils étaient les témoins. Et pourtant, à l'issue de leurs vitupérations, leurs phrases sont celles de l'apaisement. Ce sont celles que j'ai mises en exergue dans la partition d'Amos: «Je rebâtirai les ruines, je comblerai les brèches.» Il s'agit de trouver à combler nos brèches intérieures, nos blessures, nos manques. Cette sagesse n'appartient à aucune religion en particulier: tout un chacun porte en lui cette aptitude à reconstruire malgré la folie des hommes et l'usure du temps. Ces paroles sont souvent bannies des discours intellectuel et médiatique truffés d'imposture et de mensonges. Elles sont directes, fortes, sans être enrobées d'un jargon qui les amoindrisse. Elles se posent comme des monolithes. C'est en cela qu'elles restent d'actualité. […]

C'est Henri Lambert, alors aumônier des artistes à la Cathédrale des Saints Michel et Gudule de Bruxelles, qui m'a suggéré d'écrire Baruch pour une messe artistique comme il aimait à en donner. Une phrase m'avait retenu: «J'aplanirai les montagnes.» Je me suis rendu compte que cette inspiration me convenait; sans cette commande je n'aurais peut-être pas eu l'audace ni la liberté d'aller vers cette musique. Ensuite, je me suis laissé la possibilité de continuer. […]

J'ai choisi Sophonie moins pour son texte que pour son nom, en feuilletant l'Ancien Testament. Etymologiquement, on y retrouve sophia, la sagesse et onyx, pierre métaphoriquement assimilée à la lumière: Sophonie évoque donc la sagesse de la lumière. Et pour un musicien, que perçoit-on entre ces deux termes, sophia et onyx? Phonos bien sûr! Même si c'est un jeu de mots, une vue de l'esprit et non une réalité étymologique, on y découvre avec jubilation un triangle: lumière et sagesse dont le son est l'émanation!
Amos est un prophète ulcéré par le monde, dont l'injonction «Tu combleras les brèches» nous rappelle à la responsabilité de notre humanité. Cette pièce est également née de son anagramme soma, le corps chez les Grecs, la tradition athénienne de la plénitude physique et de la beauté formelle. Que l'ascèse éthique ne soit pas incompatible avec la jouissance esthétique. Orphée, le héros apollinien de la musique, équilibre, mesure et harmonie, joue une sonate en duo avec Marsyas qui incarne dans la mythologie le débordement des sens, la jouissance. Marsyas et Orphée, c'est la musique: l'excès et le retrait, la contemplation et la danse. Amos/Soma est à la fois chemin d'ascèse et de jouissance, silence intérieur et jubilation sonore. Soma désigne aussi, dans la tradition védique de l'Inde ancienne, la boisson des Dieux. […]

Exodus a été écrite pour l'opéra St Kilda. C'est la synthèse de deux solos de violoncelle se situant à deux moments clefs de cet opéra qui évoque l'exode d'une petite communauté d'humains forcés de quitter leur île au grand large des Hébrides extérieures, paradis qui, peu à peu, leur est devenu un enfer. En partant, ils ont laissé dans la petite chapelle du village une Bible en gaélique ouverte à la page du début du Livre de l'Exode parsemée de quelques grains d'épeautre. «Exodus» est un mot lourd; il porte un lien à des tribulations extrêmement dramatiques de l'histoire de l'homme… Mais il s'agit aussi pour moi de l'évocation d'un exode intérieur: nous sommes compulsivement en quête du Paradis perdu ou de l'Eldorado à venir, ce qui revient au même. Projeté dans un avenir fantasmé ou un passé idéalisé, on est écartelé à ne pas vivre le présent, perdu dans une nostalgie incurable ou un messianisme délirant. L'exode, magnifié et sublimé, c'est quitter l'illusion de l'Eden et celle d'un hypothétique Eldorado. Exodus est une musique qui porte une certaine douleur d'être mais s'accomplit dans l'allègement: la déshérence devient adhésion. C'est une transmutation.
 
Extraits de l'entretien avec Jean-Paul Dessy: «Colporteur du Silence», notice du cd Prophètes paru chez Chant du Monde/Harmonia Mundi fin avril 2010.

Liens

Jean-Paul Dessy chez Chant du Monde : ICI et

Production

Festival des 38e Rugissants
 
 

Représentations passées

21/11/2010
Musée Dauphinois - Grenoble

21/11/2010
Musée Dauphinois - Grenoble

Photos : Isabelle Françaix. Télécharger les photos.